Contribution #19– Le RGPD préfigure la future régulation des réseaux sociaux

Philippe Gabillault
6 min readMay 25, 2019

Nous sommes le 25 mai 2019

Il y a exactement un an le RGPD entrait en application. Le RGPD est désormais incontournable, non seulement pour les autorités et les citoyens européens, mais surtout pour les grands acteurs de l’internet (Facebook, Twitter et Apple), qui sont désormais confrontés à des contentieux, des enquêtes et des utilisateurs inquiets.

Il y a deux jours, la CNIL communiquait en titrant : “1 an de RGPD : une prise de conscience inédite.”

1 an après, non seulement la prise de conscience est inédite, mais elle est profonde. Cette prise de conscience va aussi au delà des données personnelles, elle devrait conduire à une régulation complémentaire des réseaux sociaux et cela pour répondre également à la demande des grands acteurs.

En effet, que ce soit Mark Zuckerberg, Jack Dorsey ou Tim Cook, ils en appellent à davantage de régulation sur la protection des données, la vie privée, les contenus haineux, l’intelligence artificielle et le fonctionnement de la démocratie. Ils proposent le RGPD comme modèle de régulation, non seulement au niveau européen mais aussi au niveau mondial.

Le rapport de la mission « Régulation des réseaux sociaux — Expérimentation Facebook »

Une approche partagée par la mission « Régulation des réseaux sociaux — Expérimentation Facebook » , conduite par Benoît Loutrel, ancien directeur général de l’Autorité de régulation des communications et des postes (Arcep), qui vient de remettre son rapport à Cédric O, le secrétaire d’état au numérique.

Ce rapport passionnant propose notamment de “reprendre la formule « Privacy by design» du RGPD en matière de données personnelles, [pour] parler de « Accountability by design » pour le traitement des contenus par les réseaux sociaux.” (page 13)

Le rapport précise le contexte :

(page 2) “Les réseaux sociaux permettent à tout citoyen de publier les contenus de son choix et de les partager avec d’autres utilisateurs du réseau. Ils ont ainsi révolutionné l’industrie des médias et les modes de communication en offrant aux citoyens et à la société civile un support d’expression directe. Le recours aux médias classiques n’est plus obligatoire pour communiquer publiquement. La possibilité pour les citoyens d’exercer leurs libertés d’expression, de communication, et de s’informer sont donc considérablement accrues par ces services.

Néanmoins, les capacités offertes par les réseaux sociaux suscitent des abus inacceptables de ces libertés. Ces abus sont le fait d’individus isolés ou de groupes organisés auxquels les grands réseaux sociaux, Facebook, YouTube, Twitter ou Snap, pour ne citer qu’eux, n’apportent pas de réponse pleinement satisfaisante à ce jour. Or, par l’ordonnancement qu’ils réalisent des contenus publiés et par leur politique de modération, les réseaux sociaux sont en mesure d’agir directement sur ces abus les plus manifestes pour les prévenir ou y répondre et limiter ainsi les dommages en termes de cohésion sociale.”

Le rapport propose :

(page 24) “un règlement européen afin de reconnaître le caractère global des plateformes numériques, de rendre pleinement effective une action coordonnée des autorités nationales face à des acteurs globaux (notamment via des procédures communes, des APis communes, etc.), de réduire les risques de mise en œuvre dans chaque État membre”… “une mise en œuvre nationale suivant la règle du pays de destination pour rendre les plateformes responsables localement devant chaque Etat membre et dans les géographies où elles peuvent créer des dommages”.

(page 13) “L’approche consistant à placer le réseau social au cœur du modèle de régulation semble être pertinente. Selon ce modèle, la plateforme de réseau social intègre des objectifs d’intérêt général, modifie son organisation, s’adapte à cet objectif« social » et agit soit en amont, dès la conception de son service pour prévenir les difficultés, débordements et autres détournements d’usage du réseau social, soit en réaction à des comportements inacceptables de ses utilisateurs.
Pour reprendre la formule « Privacy by design» du RGPD en matière de données personnelles, on pourrait parler de « Accountability by design » pour le traitement des contenus par les réseaux sociaux.”

La mise en place de cette future régulation dite ex ante devrait respecter trois conditions :

(page 3) “(i) suivre une logique de conformité (comparable RGPD) selon laquelle le régulateur supervise la bonne mise en œuvre de mesures préventives ou correctrices, sans se focaliser sur la matérialisation des risques ni chercher à réglementer lui-même le service fourni,

(ii) se concentrer sur les acteurs systémiques capables de créer des dommages conséquents dans nos sociétés sans créer de barrière à l’entrée pour de nouveaux acteurs européens,

(iii) rester agile pour affronter les enjeux futurs dans un environnement numérique particulièrement évolutif.”

Le dispositif législatif devra donc viser à créer une capacité institutionnelle à réguler et non une régulation figée sur les problèmes actuels.

Intéressant également de lire la définition des services de réseaux sociaux, plus ambitieuse que celle de la proposition de loi Avia, et les deux catégories proposées :

(page 7) “les services de réseaux sociaux proposés à titre accessoire : les forums de discussions thématiques ou libres des sites web JeuxVideo.com et les espaces de commentaires sur les sites de presse lemonde.fr, lefigaro.fr), constituent la forme basique d’un réseau social: l’organisation des contenus y est sommaire (principalement par ordre chronologique) et, lorsqu’ils font l’objet d’une monétisation par la publicité, celle-ci n’est généralement pas mélangée aux contenus des utilisateurs ; elle est adjacente ;

les services de réseaux sociaux proposés à titre principal : les plateformes de réseaux sociaux, qui peuvent être généralistes comme Facebook, Twitter ou structurées autour d’un type ou un format de contenu comme YouTube (vidéos), Pinterest (photos), TikTok (courtes vidéo), Snapchat (courtes vidéos et photos).

Passionnant également le focus sur la transparence des algorithmes et la méthodologie proposée page 26.

Tout cela devrait prendre quelques années … à moins que l’actualité n’accélère la mise en œuvre.

Une première étape, la proposition de loi de lutte contre la haine sur internet

La première étape passera par l’adoption de la proposition de loi de lutte contre la haine sur internet portée par la députée de Paris, Laetitia Avia. Cette proposition intègre déjà dans son article 1, une sanction pécunière pouvant aller jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial, en cas de non retrait de “contenus manifestement illicites” dans les 24 heures :

“En cas de manquement aux obligations fixées au I, le Conseil
supérieur de l’audiovisuel peut, après mise en demeure et dans les
conditions prévues à l’article 42–7 de la loi n° 86–1067
du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, prononcer
une sanction pécuniaire dont le montant peut prendre en considération la
gravité des manquements commis et leur caractère réitéré, sans pouvoir
excéder 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice
précédent.”

Au final, traduire les paroles en actions

Les réseaux sociaux permettent à tout citoyen de publier les contenus de son choix et de les partager avec d’autres utilisateurs du réseau. Ils ont ainsi révolutionné l’industrie des médias et les modes de communication en offrant aux citoyens et à la société civile un support d’expression directe. Le recours aux médias classiques n’est plus obligatoire pour communiquer publiquement. La possibilité pour les citoyens d’exercer leurs libertés d’expression, de communication, et de s’informer sont donc considérablement accrues par ces services.

La responsabilité sociétale des réseaux sociaux est devenue tellement importante que la passivité n’est plus concevable, la généralisation de la pratique du “name and shame” combinée au non-respect des obligations réglementaires résultants du RGPD et des régulations futures auront demain des effets conséquents sur le fonctionnement et la pérennité des grandes plateformes.

Leurs fondateurs et dirigeants se doivent de traduire leurs paroles en actions pour ne pas devenir les fossoyeurs de leur société … et de notre Société.

A suivre …

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Philippe Gabillault

Co Founder CITIZEN SHIELD | President & Founder TOLTEC | Legal, Compliance & Data Protection | DPO CIPP/E IAPP